vendredi 18 avril 2014

Soixante

©Marion Coudert
Pas de poésie. Des chiffres. Absurdes. Des vies derrière.  
Ils sont soixante. Nous sommes soixante-cinq millions. 
Soixante personnes échouées dans un parc.
Le parc est rue Suzanne Valandon à Saint Ouen. 
L'information est précise. Connue donc. Il y a des hommes oui mais ce sont surtout des femmes et des enfants. Quelles que soient leurs histoires individuelles, tous ont traversé déjà trop de souffrances. Nous le savons. Et ce n'est pas compliqué de faire un pas de côté, le temps d'une minute à y penser, pour s'imaginer à leur place, fuyant la rage profonde qui détruit leur terre depuis trois ans. Inutile de s'appesantir à nouveau à décrire la guerre, le quotidien, le ciel syrien plombé de foudres, les destructions, le feu, les charniers, la frayeur. Inutile. Nous savons. 

Autour d'eux, des gens se pressent. Des Syriens, des Français. Des associations, des particuliers.  Mais qu'importe. Ce sont des gens que cela touche et indigne, cette grande solitude. Et c'est assez pour les faire agir. 

Nul ne peut ignorer la loi. Nul n'ignore non plus les lourdeurs administratives. Des chiffres encore pour des dossiers. Mais des vies derrière toujours. Et en attendant la réponse aux statuts et que lois et cotas entrent en scène, un jardin public. Comme une insulte.

Il y a quelques jours, un homme s'est dressé à une tribune. Avec des accents de jour de grand oral, il a posé, comme un socle, la fierté fondatrice du chemin parcouru de la Rambla catalane au 57 de la rue de Varenne. Belle tribune. Unique pour redessiner une certaine image de la France et maintenir le mythe. Parce que c'est ça notre pays : une terre d'accueil, chantre des droits de l'homme. Ce mythe qui semble étouffer aujourd'hui les débats au point de laisser libre cours à des dérives politiques paranoïaques qui s'ancrent dans nos villes au nouveau visage inquiétant. 

Peu après cette levée de mots largement commentée, il y a eu un autre homme, à une autre tribune. Une tribune discrète et un homme assis, le visage fatigué mais la présence forte. Et sincère, simple.  Salam Kawakibi, à Bordeaux, a déconstruit le mythe et situé l'espoir, les possibles, là où ils se trouvent : dans la société civile, les sociétés civiles. nationales et internationales. C'est vous, c'est moi, c'est nous. Pas d'autres issues. Pas celle, en tout cas, d'une tribune haut perchée qui mettrait en actes les paroles. 

Ce constat posé que toutes les tribunes n'appliquent pas les mêmes règles du jeu, les dès sont lancés. Pour une partie qui définira ou non nos responsabilités.
Car nous savons. 

Marion Coudert




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